ASIE DU SUD-EST (art et archéologie)

ASIE DU SUD-EST (art et archéologie)
ASIE DU SUD-EST (art et archéologie)

CONTRAIREMENT à l’AlsaceLorraine dont, avant 1914, il convenait de ne dire mot tout en y pensant sans cesse, on souhaiterait parfois que l’on parle un peu moins de l’Asie du Sud-Est mais qu’on y réfléchisse davantage. Une actualité tragique, l’angoisse confuse de pressentir là un des champs de rencontre de l’avenir nous incitent trop aisément à croire un journalisme aussi superficiel que hâtif, ou les passions idéologiques...

Il s’agit certes d’un univers doublement éloigné de nous et de nos idées, et dont les traits propres se dissimulent, de plus, sous les inextricables entrelacs des influences indienne, chinoise et européenne. Pourtant les progrès de la connaissance y ont été, ces dernières années, remarquables. On commence d’y dessiner de façon plus claire l’origine des hommes et la genèse des nations.

On savait depuis longtemps que Java était un très ancien habitat humain. On sait désormais que là, et aussi en Birmanie – au moins – se trouve un des foyers de l’espèce. Au cours des années à venir, l’Asie du Sud-Est pourrait prendre place, sur ce plan, aux côtés de l’Afrique orientale. Ses industries paléolithiques sont encore mal connues, car les sites étudiés sont trop rares et trop dispersés. Ce n’est donc qu’à partir de la fin de la dernière Pluviale – qui correspond, sous les tropiques, à l’ultime période postglaciaire, vers 14000/12000 avant notre ère – que nous pouvons nous repérer en relevant les traces de la sédentarisation puis du développement de l’horticulture suivie, vers 7000 avant J.-C., de la riziculture. Quoi qu’on en ait dit, la diffusion du bronze semble bien d’origine chinoise, mais, en contrepartie, la vitalité et l’originalité des pays de la péninsule Indochinoise apparaissent comme remarquables dès cette époque. Helmut Loofs-Wissowa le montre plus loin de façon exemplaire.

Ce n’est là, certes, qu’un schéma à peine esquissé. Mais alors que nous n’en pouvions mais dans les années cinquante, nous approchons maintenant de la mise en place des grands groupes humains des Philippines à Sumatra, de Birmanie à Bornéo, du Vietnam à Java. Et, au moins dès l’âge du bronze, nous découvrons qu’ils présentent des traits qui, certes, découlent en partie de la géographie et de la biosphère, mais qui leur sont particuliers et, pour certains, uniques. Dès lors, on peut tenter raisonnablement de faire coïncider les aires de culture matérielle avec les foyers des grandes unités linguistiques, qui, jusqu’à présent, nous offraient la seule trame solide.

Cela constitue une découverte capitale. L’Asie du Sud-Est a fait son entrée dans l’histoire avec l’influence de la Chine et de l’Inde, et donc à travers les concepts et les textes de ces pays. Même quand elle s’est mise à écrire, ce fut d’abord – et pour longtemps – en sanskrit et en chinois. Et si ses peuples ont bien emprunté les outils des civilisations supérieures à ces deux grands maîtres, ils n’en possédaient pas moins leur essence propre. Si ces différents groupes ont été en mesure d’assimiler si rapidement, et si facilement, ces leçons, c’est qu’ils étaient déjà constitués en cultures dynamiques: la graine la plus fertile a besoin de terreau pour germer. C’est ce que nous montre de plus en plus clairement la protohistoire de cette région.

Certes l’indianisation, la sinisation demeurent des moteurs essentiels dans le cadre de cette histoire. Mais jusqu’ici nous les cernions seulement par leurs conséquences, et au plus tôt vers les IVe et Ve siècles. Les causes, le processus restaient à expliquer. Les découvertes récentes – par exemple celles qu’expose plus loin Janice Stargardt – nous permettent d’y voir plus clair et de comprendre que si, pour ne prendre qu’un exemple, l’indianisation a pu réussir en Birmanie ce fut notamment parce que de puissantes «cités» s’y étaient déjà constituées.

Quant aux grands empires dont les capitales, Angkor, Pagan, Borobu ボur, étaient jusqu’ici les symboles (et, trop souvent hélas, les seuls noms familiers à l’Occident...), si nous connaissions leur histoire, l’archéologie révèle de mieux en mieux leurs destinées particulières, notamment en ce qui concerne leur mode d’utilisation de l’espace. Et, finalement, nous assistons à une passionnante remise en ordre de toutes nos connaissances sur cette partie du monde.

L’Asie du Sud-Est appartient à cette série de lieux comme prédestinés qui voient se croiser les aventures humaines et – fait remarquable – se suivent presque tous de part et d’autre et à quasi-équidistance du tropique du Cancer: Thrace, Troade et mer de Marmara; delta du Nil, Sinai et Suez; Afghanistan, Sindh et golfe Persique; Cuba, Mexico et Panamá; Andalousie, Maroc et Gibraltar.

Or les rôles – si divers – de ces plexus du monde, l’Asie du Sud-Est les assume tous. Elle fut le pont nord-sud du peuplement de l’Insulinde, puis des îles du Pacifique, comme, tout récemment, le passage obligé des communismes asiatiques vers l’hémisphère austral. Elle fut le point de rencontre, et bientôt d’affrontement, des courants est-ouest, des mondes indien et chinois, et, depuis lors, de leurs «successeurs-usurpateurs»: l’Europe et le Japon. Par le détroit de Malacca, depuis des millénaires passent les navires qui ont apporté à l’Occident le poivre et la porcelaine, à l’Orient la géopolitique et l’atome. S’y suivent, à se toucher, les pétroliers allant du golfe Persique au Japon et les cargos transportant vers l’Europe les produits des usines japonaises, coréennes, taïwanaises et autres. Plus d’un milliard d’hommes pèse au Nord, peut-être appelés à glisser vers le sud, vers les îles et l’Australie. Les voies de l’avenir repasseront inexorablement ici. On voit avec accablement que ce sera toujours au risque d’écraser les peuples qui s’efforcent d’y survivre.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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